Le budget participatif à Pirae : une innovation partagée

Le Syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française (SPCPF) a organisé le 27 mars la journée de l’innovation communale (JIC) pour valoriser les initiatives inédites des communes. Pour cette première édition, c’est le budget participatif, expérimenté par la commune de Pirae depuis trois ans, qui a fait l’objet d’une approche concrète avec les nombreux participants présents dans sa mairie. Des élus et cadres dont l’enthousiasme promet une transposition chez eux de cette expérience innovante, comme le renouvellement de cette journée qui l’est tout autant.
les élus et cadres se sont retrouvés à Pirae pour découvrir le budget participatif©SPCPF

Le terme « innovation » est de plus en plus souvent utilisé mais très peu pour illustrer les actions des communes. Assimilé à tort au développement des nouvelles technologies, il couvre en réalité des champs d’application bien plus vastes tels que l’optimisation d’outils déjà existants (SIG) ou l’utilisation de mode de concertations différents, également caractéristiques de l’innovation publique. Le SPCPF, conscient de ce que les communes sont porteuses de projets de cette nature sans parfois s’en rendre compte a souhaité, en accord avec sa mission première, promouvoir ces savoir-faire locaux dans le cadre d’une journée dédiée aux partages d’expériences communales innovantes.

La première innovation communale mise à l’honneur le mercredi 27 mars est un dispositif de démocratie citoyenne que la commune de Pirae est la seule à avoir adopté en Polynésie française depuis 2016 : le budget participatif. Il n’existait alors que dans quatorze communes métropolitaines, ils sont soixante-dix – régions et départements compris – en 2018 à l’avoir adopté.

Un slogan : « Vous choisissez, nous réalisons ! »

En quoi consiste le budget participatif ? La commune alloue un pourcentage de son budget aux projets initiés par ses résidents dans l’intérêt général, sur son territoire. Les projets éligibles sont promus par les porteurs de projets eux-mêmes auprès de la population qui choisit par un vote celui qu’elle souhaite voir se réaliser. Il ne reste plus au conseil municipal qu’à acter la liste des projets ayant obtenu le plus de voix dans la limite de l’enveloppe du budget participatif et bien sûr à les mettre en œuvre.

À Pirae, la démarche a ainsi permis de réaliser, par exemple, un street workout dans la montée du Belvédère, un point d’apport volontaire pour des encombrants qui étaient jusque-là répandus anarchiquement et en permanence sur un trottoir, l’aménagement d’une aire de jeux à Nahoata ou de dos d’âne dans la rue Temarii.

Abel Temarii, 2e adjoint, à l’initiative de cette participation citoyenne à Pirae, a partagé avec les 64 participants, élus et cadres, les avancées et limites rencontrées au fur et à mesure de sa mise en place. Cette démarche de consultation et surtout d’implication des administrés dans la vie de la commune n’est pas encore inscrite dans les habitudes et les mentalités, ni des élus ni des citoyens, soumis à des décennies de gouvernance « du haut vers le bas ». Elle a donc d’abord requis de la part des élus de multiplier les réunions de quartier durant la première année afin d’expliquer aux habitants cette nouvelle démarche.

À Pirae comme en France, si les taux de participation restent modestes, ils vont croissants. Ainsi, dans la commune polynésienne, la première année, sur 15 000 habitants, seuls 150 résidents ont voté et 13 projets ont été présentés dont 5 validés, la deuxième année a compté 250 votants pour 15 projets et la troisième 480 pour 20 projets. En moyenne, dans les communes métropolitaines, 4 % de la population est active (7 % à Rennes, 10 % à Paris). Toutes les communes, quelle que soit leur taille (de 3200 habitants à 2 millions d’habitants) sont représentées.

Un processus testé… de manière participative

Les départements de la promotion et de la formation du SPCPF à l’initiative de cette journée, ont offert aux participants d’expérimenter concrètement le fonctionnement du budget participatif par une mise en situation. Répartis en trois sous-groupes, ils ont tour à tour endossé chacun des rôles au cœur de ce processus : le citoyen porteur du projet qui explique son idée, le technicien communal qui analyse sa faisabilité, le promoteur qui le défend auprès de la population, la population qui vote pour finir par redevenir des élus communaux. Des élus à qui il ne reste plus qu’à adopter une délibération en conseil municipal avalisant la liste des projets qui ont obtenu le plus de voix au sein de la population. Le SPPCF en collaboration avec la commune de Pirae avait également prévu des visites des projets réalisés dans ce cadre ainsi que la possibilité d’échanger avec leurs initiateurs invités à partager leur expérience.

Tandis que certains s’arrêtent au problème des sources de financement des projets ainsi proposés, tous ont bien souligné le changement de mentalités induit par cette approche ascendante, à contrecourant de la gouvernance connue depuis des décennies. Une transformation qui commence par la commune, mais aussi sa population plus habituée à s’en remettre à ses élus qu’à s’impliquer une fois les élections passées. En l’occurrence, à Pirae, l’expérience montre que les habitants sont de plus en plus prêts à s’engager et ce, de bout en bout du projet. Une garantie pour l’entretien des structures qu’ils auront fait naître ? Les exemples apportés par les porteurs de projet présents semblent l’attester.

Clôturée par une table ronde autour des élus et techniciens de Pirae ainsi que des porteurs de projets, cette journée a également mis en avant les freins ou obstacles rencontrés : à commencer par le changement des habitudes de part et d’autres, la nécessité de faire adhérer la population, les retards dans la mise en œuvre liés à l’absence de maîtrise du dispositif. Autant de constats qui ont permis de faire évoluer ce dernier par exemple en modifiant le mode de scrutin (vote par procuration) ou en ouvrant le vote à deux au lieu d’un seul projet. Quoiqu’il en soit, gageons que cet exemple innovant fera des émules au vu de l’enthousiasme de nombreux tāvana, cadres comme élus, qui ont félicité leurs homologues de Pirae et pour plusieurs d’entre eux déclaré qu’ils allaient transposer ce partenariat commune-administré dans leur municipalité. Une journée dont le succès promet qu’elle sera renouvelée pour valoriser et partager d’autres innovations communales.

Un dispositif soumis à des règles... qui peuvent évoluer

Toute personne physique ou morale peut déposer un projet donc tout citoyen, qu’il soit élu ou non, comme toute personne morale, notamment les associations.

Mais pour qu’il soit éligible au budget participatif, le projet doit relever des compétences de la ville, être localisé sur le territoire de la commune, répondre à l’intérêt général et avoir une visée collective, concerner des dépenses d’investissement (mais la commune de Pirae réfléchit à ouvrir cette condition à des dépenses de fonctionnement), être techniquement réalisable, être complet et précis et pouvoir démarrer dès l’année suivante ; et le projet ne doit pas nécessiter une acquisition de terrain ou de local ; être déjà en cours d’étude ou d’exécution, ou faire partie de l’entretien normal et régulier ; générer des frais de fonctionnement trop important (5 %), et générer des bénéfices privés.

Un porteur de projet aura d’autant plus de chances de voir son projet se concrétiser qu’il respectera le règlement, aura une idée qui répond à un besoin ou qui résout un problème, qu’il connaît son projet en détail et collabore avec la municipalité et qu’il parlera des bienfaits de son projet autour de lui afin d’obtenir l’adhésion d’un maximum d’habitants. Les réseaux sociaux s’avèrent particulièrement utiles sur ce point.

Réactions de quelques participants

Mireille Haoatai, maire de la commune de Manihi

« C’est le tāvana qui décide. Le budget participatif, c’est vraiment innovant. On va le mettre en place dans ma commune. Je suis très proche de ma population. Mais ce que je vais lui apporter aujourd’hui, c’est quelque chose de neuf : c’est du bas vers le haut. Je pense que beaucoup d’administrés ont beaucoup de demandes mais c’est la vision des maires au conseil qui prévaut, ce n’est pas celle du « petit » qui a aussi envie de faire quelque chose et qui sait pas demander. J’ai la chance d’avoir des agents derrière moi qui peuvent le faire. Mon prochain conseil se tient le 2 mai. Je vais réunir mes agents, les élus et la population et je vais le faire. »

Jean-Baptiste Raynal, agent à la mairie de Papeete

« Félicitations à la commune de Pirae parce que l’exercice n’est pas évident. Cette journée a été bien résumée par les interventions de cette après-midi. Une réorganisation du travail en interne : c’est une nouvelle manière de faire. Aussi bien pour les élus que pour les techniciens, on ne travaille pas de la même façon. La décision est ascendante au lieu d’être descendante. Permettre à la population aussi de se confronter à des réalités administratives : on a parlé de longueur de projets. Le temps de l’habitant n’est pas le même que celui du technicien communal ou du projet mis en place par la commune, avec les contraintes financières, techniques et autres… Je remercie le SPCPF : c’est bien que l’on puisse échanger ensemble techniciens et élus, j’en ai profité pour discuter. Cela peut favoriser le passage d’idées en interne ; quand on est là avec notre élu, on est deux à porter le message quand on retourne dans nos communes respectives. Encore félicitations à la commune de Pirae parce que la participation, on veut tous en faire, mais pour la mettre en place, on n’est pas nombreux à le faire. »

Eric DEAT, directeur de la DRMA

« Il y a trois ans, l’État avait mis en place les journées de l’innovation publique. La 4e édition aura lieu cette année. L’idée est d’amener les gens, techniciens et élus, du Pays, de l’État et des communes à se retrouver et à partager sur une ou deux journées. Il y a deux ans Ua Pou avait partagé sur son projet de CET. La commune c’est l’outil de proximité, on se rend compte que dans les services on est loin. État, pays, communes, on d’adresse aux mêmes personnes, autant travailler ensemble dans la même direction, on sera plus efficace. Les gens ne compartimentent pas leurs besoins. L’innovation, c’est aussi de la méthode, cela permet d’éviter les erreurs des autres. »